dimanche 11 février 2018

Tout va très bien madame la marquise, par Usbek le (soi-disant) climatoréaliste

Le dénommé Usbek officie régulièrement sur Skyfall, ce site d'information scientifique mondialement reconnu (ironie inside) et donc que la Terre entière nous envie ; quand Usbek s'exprime vous savez déjà à quoi vous attendre sans avoir même lu un seul mot de sa prose : tout va bien, il ne faut pas s'inquiéter, le réchauffement climatique, s'il existe, c'est même pas sûr, est une bonne chose pour l'humanité, car vous voyez le CO2 ça fait pousser les plantes et avec quelques degrés de plus je vais pouvoir aller faire du ski nautique toute l'année en Islande, un rêve de jeune fille que je nourris en m'abreuvant de publications sérieuses comme Contrepoints ou Mythes et mancies, mes phares dans ce monde de ténèbres.

Dans son dernier opus paru sur le site humoristique des climato-irréalistes, intitulé Evènements naturels extrêmes : aucune dégradation selon le rapport 2017 de l’assureur AON, Usbek tient à tout prix à nous convaincre que l'assureur AON assurerait (ben oui c'est son rôle d'assurer, non ?), je cite, que :
  • [...] l’année 2017 confirme la stabilité sur la longue période de la fréquence et de l’intensité des événements extrêmes liés à un supposé dérèglement climatique.
Bref il n'y a pas de quoi se faire du mouron, n'est-ce pas, les événements extrêmes de cette année 2017 ont été tout à fait normaux, c'est même un amnésique de mes relations qui me l'a confirmé pas plus tard qu'il y a ... euh, je ne me souviens plus quand il me l'a dit mais il me l'a dit, l'année 2017 a été tout à fait normale au niveau des événements extrêmes.

Et pour illustrer son propos Usbek nous donne à voir en premier lieu un graphique tiré du rapport d'AON :

Exhibit 15: Total Natural Disaster Events, page 12 du rapport d'AON, source thoughtleadership.aonbenfield.com

Et pour faire bonne mesure, afin de paraître un tant soit peu crédible (oui je sais c'est dur mais il y travaille) il ajoute :
  • On y relève en particulier que le nombre d’événements extrêmes en 2017 (tremblements de terre inclus) a été de 330, un chiffre de 20% supérieur à la moyenne de la période 2000-2016 (275 événements), mais inférieur à celui de l’année 2000 (340 événements) et au même niveau que celui des années 2001, 2002 ou 2010. On observe surtout une grande variabilité annuelle ce qui est logique s’agissant d’événements exceptionnels.
Et sa conclusion est d'une franchise (en matière d'assurance quoi de plus normal hein !) confondante :
  • Ce qui est vrai, c’est que l’année a été particulièrement lourde en termes de dommages matériels et donc coûteuse pour les assureurs, ce qui ne fait que traduire l’augmentation de la valeur des biens assurés et de leur exposition aux risques.
Ah ben oui ça c'est ben vrai ça, si les pertes ont été lourdes c'est que le matos il vaut de plus en plus cher, je vous parle même pas de ma bagnole, pour changer un enjoliveur ça m'a couté...bon là je m'égare, revenons à nos moutons.

Nos moutons sont en fait un peu plus détaillés que ce que notre (faux) ami Usbek veut bien laisser entendre à ses lecteurs (lesquels sont en principe entièrement acquis à sa cause et ne lui poseront donc aucune question embarrassante, après tout on est entre gens de bonne compagnie, on va pas se fâcher pour si peu)

En effet Usbek ne nous dit pas tout (arrêtez d'ouvrir vos yeux comme des soucoupes, vous vous y attendiez un peu, non ?), le rapport d'AON fait quand même 50 pages et il ne va pas les passer toutes en revue, il ne manquerait plus qu'il prenne en compte toutes les cerises du panier, c'est quand même plus simple de prendre uniquement celles qui semblent les plus belles et les plus appétissantes, celles qui vont faire saliver les lecteurs.

Alors je vais moi itou faire du cherry-picking, ou, en bon français, faire de la sélection sélective afin de sélectionner ce qui me plait à moi et pas forcément aux autres, j'ai le droit, c'est mon blog et je fais ce que je veux ici nom di diou !

Je vais commencer par vous montrer la toute première page du rapport, car j'ai pas envie de me fatiguer et d'aller beaucoup plus loin :

2017: Costliest year on record for weather disasters, page 1 du rapport d'AON, source thoughtleadership.aonbenfield.com

Dans cette synthèse on apprend que :
  • 2017 est la deuxième année la plus couteuse en matière de coûts économiques liés à des désastres naturels, avec 353 milliards de dollars de dommages (dont seulement 134 milliards assurés) ;
  • 2017 est l'année la plus couteuse en matière de coûts liés à des événements météorologiques, avec 344 milliards de dommages (dont seulement 132 milliards assurés, ce qui en fait l'année la plus couteuse également pour les assureurs) ;
  • 2017 présente une augmentation de 93% par rapport à la moyenne 2000-2016 en matière de pertes économiques (+163% en ce qui concerne les dommages assurés) ; 
  • les 3 ouragans Harvey, Irma et Maria ont représenté à eux seuls 62% des dommages économiques en 2017 (60% des dommages assurés) ;
  • 2017 a été la deuxième année la plus coûteuse pour les assureurs en matière d'événements météorologiques extrêmes (severe weather peril) avec 24 milliards de dollars ;
  • 2017 a été l'année la plus coûteuse pour les assureurs en matière d'incendies avec 14 milliards de dollars ;
  • 2017 a été la troisième année la plus chaude depuis 1880 (certains disent la deuxième mais on va pas chipoter là-dessus) 
Mais comme Usbek le dit, pardon, le laisse croire à ses lecteurs, 2017 « confirme la stabilité sur la longue période de la fréquence et de l’intensité des événements extrêmes liés à un supposé dérèglement climatique » :

Global Economic Losses, page 2 du rapport d'AON, source thoughtleadership.aonbenfield.com

Comme on peut le constater, 2017 fut une année tranquille, quelques sécheresses, quelques inondations, quelques incendies, quelques cyclones et autres événements météorologiques non significatifs, bref rien que de très normal en somme. Pas de dérèglement climatique en vue, même avec de bonnes lunettes (bon, ça me fait penser qu'il va falloir que je change les miennes au passage)

Bien, allons deux pages plus loin :

Exhibit 4: Global Economic Losses by Peril, page 4 du rapport d'AON, source thoughtleadership.aonbenfield.com

Je trouve ce graphique particulièrement intéressant, pas vous ? Et je m'étonne qu'Usbek
 l'ait oublié, pourtant il en dit des tonnes (le graphique, pas Usbek qui est le roi de la concision) ; ainsi, en matière de cyclones tropicaux 2017 a généré 232 milliards de pertes économiques, soit 185 milliards de plus que la moyenne 2000-2016 (et 204 milliards de plus par rapport à la médiane), une paille !

Quant aux événements météorologiques extrêmes (severe weather) ils affichent un écart de 14 milliards en plus par rapport à la moyenne, les incendies plus 17 milliards et les sécheresses plus 1 milliard ; les inondations sont ,elles, en baisse de 14 milliards par rapport à la moyenne 2000-2016, les autres « périls » étant non significatifs (on ne va pas parler des tremblements de terre qui jouent dans une catégorie à part, celle où mère Nature est principalement responsable, même si certains séismes peuvent parfaitement être provoqués par une activité humaine)

En fait, et cela n'étonnera personne sauf ceux qui ont décidé de ne pas s'étonner, Usbek soit ne sait pas lire un rapport, soit choisit de désinformer ses lecteurs, avec un titre accrocheur (Evènements naturels extrêmes : aucune dégradation selon le rapport 2017 de l’assureur AON) qui ne représente pas du tout ce qu'a justement voulu dire l'assureur.

Usbek croit comprendre, ou fait semblant de comprendre, qu'il n'y aurait eu aucune dégradation des événements extrêmes en 2017, alors qu'en réalité AON voulait dire qu'il n'y avait aucune dégradation dans les capacités des assureurs à indemniser les dommages subis !

Ainsi page 7 du rapport on peut lire :
  • It is worth noting that the insurance industry was well positioned to handle the cost of the 2017 disasters. Global reinsurer capital was a record USD600 billion at the end of third quarter 2017. This is a broad measure to detail how much capital insurers had available to trade risk, and also ensured that both insurers and reinsurers were capable to withstand the extensive losses during the year. Additionally, the industry was in a much better position to handle a high catastrophe loss year in 2017 as opposed to 2005 and 2011.
    • Il convient de noter que l'industrie de l'assurance était bien placée pour gérer le coût des catastrophes de 2017. Le capital des réassureurs mondiaux a atteint un record de 600 milliards USD à la fin du troisième trimestre 2017. Il s'agit d'une mesure générale visant à détailler le niveau de risque disponible pour les assureurs et à garantir que les assureurs et les réassureurs étaient capables de supporter les lourdes pertes au cours de l'année. De plus, l'industrie était bien mieux placée pour faire face à une année de grande catastrophe en 2017 par rapport à 2005 et 2011.
Ainsi Usbek a compris tout de travers, AON ne fait qu'expliquer dans son rapport que les événements extrêmes coûtent de plus en plus chers à la collectivité, mais que les assureurs sont capables de faire face aux surcoûts qu'ils engendrent, et qu'il n'y a donc « aucune dégradation selon le rapport 2017 de l'assureur AON concernant les événements extrêmes », titre du billet d'Usbek à lire avec des pincettes et à prendre avec de grandes lorgnettes (ou l'inverse si vous êtes conformistes)

Je me suis amusé, tant qu'à faire dans le cherry-picking, à regarder le rapport d'AON en sélectionnant le mot 'warming', et voici ce que cela donne, avec 7 occurrences du mot qu'il ne faut pas prononcer dans certains cercles :
  • This trend can be attributed to several interacting factors, including Portugal’s position in the path of strong Atlantic winds, rising temperatures and prolonged droughts due to a warming climate and ineffective strategies in fire mitigation.
    • Cette tendance peut être attribuée à plusieurs facteurs interactifs, notamment la position du Portugal sur la trajectoire des forts vents de l'Atlantique, la hausse des températures et les sécheresses prolongées dues au réchauffement climatique et aux stratégies inefficaces d'atténuation des incendies.
  • Various ocean oscillations influence the amount of warming or cooling that takes place in a given year. The El Niño/Southern Oscillation (ENSO) is a warming or cooling cycle of the waters across the central and eastern Pacific, leading to a drastic change in the orientation of the upper atmospheric storm track. Warming periods are noted as El Niño cycles, while cooling periods are known as La Niña cycles.
    • Diverses oscillations océaniques influencent la quantité de réchauffement ou de refroidissement qui se produit dans une année donnée. L'El Niño / oscillation australe (ENSO) est un cycle de réchauffement ou de refroidissement des eaux à travers le Pacifique central et oriental, conduisant à un changement radical dans l'orientation de la trajectoire des tempêtes dans l'atmosphère supérieure. Les périodes de réchauffement sont notées comme des cycles El Niño, tandis que les périodes de refroidissement sont connues sous le nom de cycles La Niña.
  • The decline of the Arctic sea ice has been well documented and regarded as one of the most visible results of a warming atmosphere during the past few decades.
    • Le déclin de la banquise arctique a été bien documenté et considéré comme l'un des résultats les plus visibles d'une atmosphère en réchauffement au cours des dernières décennies.
  • While sea ice extent is an important variable in analyzing the health of the Arctic, sea ice thickness and age are equally as imperative. Though thickness is not the same as age, both provide essential guides to determine whether climate-related impacts are causing more accelerated warming. [...] Scientists believe that continued increases in atmospheric and oceanic warming and changes in wind patterns will only further reduce ice thickness and multiyear ice. Such conditions have led to accelerated sea level rise in the world’s oceans since 1993.
    • Bien que l'étendue de la glace de mer soit une variable importante dans l'analyse de la santé de l'Arctique, l'épaisseur et l'âge de la glace de mer sont tout aussi impératifs. Bien que l'épaisseur ne soit pas la même que l'âge, les deux fournissent des guides essentiels pour déterminer si les impacts liés au climat causent un réchauffement accéléré. [...] Les scientifiques pensent que les augmentations continues du réchauffement atmosphérique et océanique et les changements dans les régimes de vent ne feront que réduire davantage l'épaisseur de la glace et la glace pluriannuelle. Ces conditions ont conduit à une élévation accélérée du niveau de la mer dans les océans du monde entier depuis 1993.

Bref on croirait presque lire un rapport du GIEC, et c'est normal puisque les assureurs sont tout sauf idiots et qu'ils se basent sur la science et non sur des articles de blogs pour la plupart sponsorisés ou encouragés par des gens qui n'ont aucun intérêt à ce qu'on réduise les risques ; les catastrophes naturelles ou d'origine humaine font vivre de nombreuses entreprises, tout comme les guerres d'ailleurs qui sont de magnifiques sources de revenus pour, au passage, quasiment les mêmes individus ou organisations.

Finissons avec ce passage qui restera dans les mémoires et pourra être repris dans les thèses sur les sophismes et autres contrevérités à l'usage des gogos :
  • Dix mille personnes sont mortes victimes des catastrophes naturelles en 2017, un nombre très inférieur à la moyenne de la période 2000-2016.
Et ne croyez pas qu'il s'agit d'humour, non, Usbek est très sérieux quand il écrit cette ânerie en une vingtaine de mots seulement.

Et c'est le même qui vous dira que les progrès de la médecine ont permis de réduire la mortalité et d'allonger la durée de vie (sous forme de zombie peut-être), par contre les progrès en matière de sécurité civile (prévention des risques, amélioration des systèmes de secours et des plans d'action en cas de catastrophe, etc.) là connaît pas, pour lui s'il y a moins de morts c'est forcément qu'il y a moins d'événements extrêmes, c'est pas plus compliqué que ça.

Toute ressemblance avec une personne en particulier est une pure coïncidence.



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