mardi 10 avril 2018

Double cherry-picking et autres fantaisies climato-irréalistes

L'excellent site Skeptical Science, probablement le plus décrié chez les climatosceptiques du fait de la valeur des informations qu'il diffuse (quand le message ne plait pas il faut brûler le messager), a mis en ligne la liste des sophismes climatiques, que j'avais déjà exposés ici, mais de manière plus sympathique et lisible ; malheureusement tout est en anglais, y compris les vidéos, ce qui fait qu'une grande partie des irréalistes francophones ne pourront pas en bénéficier, à supposer qu'ils aient l'idée ou le courage de se plonger dedans, ce qui semble relever du rêve éveillé.

Cette liste m'a donné l'idée de commenter le tout premier sophisme de la liste, qui concerne l'affirmation selon laquelle le réchauffement climatique se serait arrêté en 1998.

On sait que cette affirmation fallacieuse est le dada de la majorité des climatosceptiques, menés par l'inénarrable Christopher Monckton qui leur a servi pendant longtemps la même salade indigeste sur le site WUWT ; indigeste car ses articles sont bourrés jusqu'à la gueule de très nombreuses informations soit invérifiables, soit manifestement erronées, consistant chaque fois en un long Gish Gallop qui nécessiterait dix fois plus de temps et d'espace pour être réfutées. Nous en avons un exemple caractéristique avec cet article du Lord de pacotille daté de février 2016 (je ne sais pas s'il en a pondu d'autres depuis, il est vrai que cela va être de plus en plus difficile pour lui de prétendre qu'il n'y a plus de réchauffement, même en truquant ses données et en abreuvant ses lecteurs de sa prose ampoulée)

Le graphique emblématique qu'il présente à chaque fois est de ce type, tiré du billet de février 2016 :

The RSS data still show no global warming for 18 years 8 months, notwithstanding record increases in CO2 concentration over the period.

Accompagné de celui provenant de ses amis Spencer et Christy :

Dr Roy Spencer’s UAH v.6 satellite lower-temperature dataset shows the Pause has already (just) disappeared. For 18 years 2 months there has been barely any warming, though to two decimal places the anomaly is zero.

Il n'y a pas de grandes différences entre ces deux graphiques qui représentent la reconstitution des températures de l'atmosphère à partir des données satellitaires ; la seule chose que l'on peut dire à leur sujet c'est que l'on se trouve en présence d'un double cherry-picking, c'est-à-dire d'une sélection fallacieuse à deux niveaux :
  1. Température de l'atmosphère uniquement (on exclut la chaleur qui s'accumule dans les océans ou qui est absorbée par les terres)
    • La chaleur excédentaire est absorbée à plus de 90% par les océans, seuls 2% demeurent dans l'atmosphère, le reste allant se perdre dans les terres, par conséquent, ne prendre en compte que ces 2% est largement réducteur et évite de parler des 100% qui, eux, n'ont enregistré aucune stagnation ; pour avoir une idée des « forces » en présence il suffit de jeter un œil sur ces graphiques : 
      Source wikimedia
      Source wikimedia
  2. Période trop courte, donc non représentative d'une tendance à long-terme ; en reprenant les données satellitaires depuis l'origine (1979) pour la basse troposphère on obtient ceci
    Source woodfortrees
    • donc pas vraiment de stagnation en regardant sur le long-terme ; d'ailleurs en reprenant les mêmes graphes avec les données depuis 1998, année de fort El Niño, jusqu'à fin 2015 pour être en phase avec les graphiques de Monckton, on obtient ceci : 
      Source woodfortrees
    • effectivement on dirait bien qu'il y a stagnation des températures sur cette courte période démarrant, quel hasard, avec un super El Niño !
Evidemment, concernant le point numéro un, Monckton tente dans son article de montrer que la température des océans n'a pas augmenté, comme cela c'est pratique, on élude le fait que la majorité de la chaleur additionnelle s'y retrouve et on en déduit que seule l'atmosphère serait concernée, qui plus est par un réchauffement tellement minime qu'il en serait imperceptible.

Une autre technique de désinformation que l'on peut trouver dans le même article du lord en carton-pâte consiste à minimiser la hausse des températures en prenant comme début l'année 1880 et en déduisant du graphique suivant une hausse centennale de seulement 0,67°C :

NOAA’s much-altered global surface temperature record, showing a 0.9 Cº global warming trend since 1880, equivalent to just two-thirds of a degree per century.
Ce graphique est un modèle du genre, car il montre la réalité, sans la cacher en aucune façon, mais en tirant une conclusion spécieuse et en prenant ses lecteurs pour de véritables crétins incapables de lire une courbe ; en effet, il suffit d'un minimum d'attention pour s'apercevoir que depuis les années 1970s il y a une nette accélération du réchauffement climatique et que s'il faut en tirer une tendance sur un siècle ce ne sont certainement pas deux malheureux tiers de degrés Celsius dont on parle, mais plutôt de deux ou trois degrés, au minimum. Il suffit de calculer le prorata de température à partir des 45 ans (de 1970 à 2015, soit environ 1,5°C d'augmentation sur cette période) et cela donne : 1,5 x 100 / 45 = 3,3°C !

Et mon calcul ne tient pas compte d'une possible accélération durant le 21ème siècle, mon prorata est à augmentation constante depuis 1970, en prenant les données fournies par Monckton lui-même.

Bien sûr le prorata est un exercice simpliste, mais il a l'avantage d'être à la portée de n'importe qui et d'être capable de démontrer que l'assertion de Monckton ne tient pas la route une seconde, puisque lui aussi se livre à la même gymnastique indigne d'un scientifique (qu'il n'est pas) : 0,91 x 100 / 135 = 0,67°C !

Avec son calcul on pourrait prendre comme base de départ la naissance de Jésus-Christ et on obtiendrait quelque chose comme 0,91 x 100 / 2015 = 0,05°C de hausse sur un siècle, pas vraiment de quoi s'inquiéter n'est-ce pas ?
Pour aller plus loin sur le sujet voici quelques pistes intéressantes à l'attention de ceux qui souhaitent vraiment s'informer :

Il ne faut cependant pas se faire d'illusion, car les climatosceptiques étant en général gravement atteints par leur syndrome de déni ce ne sont pas quelques tableaux ou illustrations qui les convaincront que le réchauffement climatique n'est pas une invention des Chinois pour ruiner l'Amérique. 



2 commentaires:

  1. J'avais fait cette illustration à l'époque pour remettre le graphique de Monckton dans son contexte.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est tout à fait ça !

      On peut même remarquer qu'entre 1988 et 1997 (à vue de nez) il n'y a pas eu non plus la moindre augmentation de température...

      Supprimer